Amsterdam

(juste après avoir peint sur « Asmterdam » de Brel)
Ecrire. Ecrire après avoir peint ; parce que tout n’était pas encore dit ; mais que le manque de place au sol m’a arrêtée.
Ecrire en nage, écrire les doigts verts, écrire les coudes bleus, Amsterdam, Jacques Brel.
Comment poser un quelconque mot sur un tel homme. Une telle présence. Une diction si vibrante. Une voix si incarnée.

La chanson commence et déjà je suis sur les quais brumeux, l’air iodé à ma gauche, les tavernes éclairées à ma droite. La vie qui fourmille par la voix de Brel. Et Brel qui dit tout, pas juste par les mots bien sûr, mais par la façon dont il les habite chacun.
Et me voici attablée avec d’autres marins. La joie de retrouver les miens. L’appel du large. La fête du retour. L’ivresse des excès, si enveloppante et fabuleuse, après des mois d’air iodé fouettant le visage. Et ça aussi c’est fort, et ça aussi c’est si bon.
Se nourrir de la solitude et de la beauté des océans, et retrouver la foule qui avait continué à vivre.
Vie rude et forte, intense et enivrante, au cœur des choses.

Je ne peins pas la chanson « Asmterdam ». Je peins avec cette chanson, je suis dans cette chanson, elle m’habite et j’ai chevillée au corps l’envie d’ en retranscrire les mouvements intérieurs.

Novembre

Je poste une photo sur instagram, d’un sublime champignon découvert dans la forêt.
Ou plutôt devrais-je dire d’un sublime tableau.
Le chapeau bombé et luisant du bolet, sa couleur camel d’une intensité indéfinissable, la verdeur flamboyante et la texture de la mousse qui entoure son pied….et , tout autour, une couronne de feuilles chues par un doux souffle d’automne.
Je suis sans mot. Subjuguée.
J’hésite à poster cette photo sur instagram, car je ne l’ai bien sûr pas prise pour cela ; et je ne veux pas la dévoyer .
Et puis je me dis «  qu’importe ! », je songe que cela me parle de mettre sur ce réseau des photos qui ne servent ni l’égo ni le commerce, mais qui se mettent juste à genoux devant la beauté du monde.
Je me dis «  j’aurai fait ma part. J’aurai dédié mon existence à dire cette splendeur. Et cela est beau et cela est vrai ».

Mai

(après avoir fait des aplats de peinture noire sur du papier)

Je serais bien dans l’embarras si quelqu’un me demandait « ah, tu changes de style ? ». Je ne saurais rien répondre, quelques balbutiements qui diraient juste l’incommunicabilité – au moins orale- de ce processus.
On pourrait aussi me demander : « tu fais des essais de matière ? ».
Mais non, c’est bien plus instinctif et silencieux que cela.

Quand je repeins un mur, là oui, j’achète des échantillons et « je fais des essais ».
Quand je tente de maroufler du papier sur du bois c’est technique, je fais des essais.

Mais quand je pose des aplats de peinture c’est mon corps et son énergie vibratoire qui sont à l’œuvre, c’est purement physique et incarné.
Je n’ai aucune idée de si ces aplats « serviront » ou pas.
J’ai juste un besoin physique de matière.

J’étale cette peinture, racle le papier avec la truelle, provoque incidemment des effets de ventouse, décolle, décale, observe.
Et tout est silencieux et tout résonne en moi, le geste lui-même et son délicat bruit.
La truelle qui frotte le papier encore peu enduit, le son sec et précis, la truelle qui glisse sur un épais tas de peinture dans un bruit lisse et profond, la truelle qui par ventouse fait corps avec le papier puis s’en détache en un bruit lent et ciselé, impossible à reproduire.

J’ai juste un besoin physique de matière.